Nevers, l'autre origine de Cluny ?
Aux origines...
Guérin, comte d’Auvergne, possède de nombreuses propriétés dans les comtés de Nevers, Mâcon et Autun. Il échange ainsi une propriété de son comté de Nevers contre Cluny, qu’il obtient de l’’évêque de Mâcon, en 825. Avec sa femme Albane, il y fonde alors un monastère familial mémoriel, dans lequel ils seront inhumés par la suite. Ce monastère (familial et privé) est transmis à une communauté bénédictine, sous la responsabilité de l’abbé Bernon, dès la fin du IXe siècle, et la propriété leur en est officiellement transférée par Guillaume d’Aquitaine en 908. Avant la naissance officielle de l'abbaye de Cluny, on voit que les liens avec Nevers sont déjà établis. D’ailleurs, l’évêque de Nevers est signataire de la charte de translation de Guillaume d’Aquitaine à Bernon…
Les relations s’intensifient au Xe siècle
La toute jeune abbaye bénédictine de Cluny connaît des premières décennies difficiles (908-940). Son 2ème abbé, Odon, en est absent et ne s’en occupe pas.
Le comte de Nevers Geoffroy et son épouse Ava suivent particulièrement les affaires du monastère. Geoffroy en est l’avoué (il est signataire de plusieurs chartes importantes pour Cluny, dont celle du transfert de propriété de 908, ainsi que du Testament de Bernon, en 926, puis d’autres pendant près de 30 ans). Cette assiduité et ce soin se transforment, vers la fin de sa vie, par des dons à Cluny sur ses biens personnels, en 936 et en 940. Après sa mort, ses enfants continueront de soutenir Cluny. La relation étroite entre la famille comtale de Nevers et ce modeste monastère situé à 150 km s'explique vraisemblablement par des liens familiaux proches et mémoriels : Cluny abritant à cette époque encore le tombeau des ancêtres communs Guérin et Albane.
Les comtes de Nevers structurent leur ville autour de pôles clunisiens au cours du Moyen Âge
Ceci explique sans doute le fait que la Ville de Nevers ait abrité plusieurs monastères clunisiens (Saint-Victor, Saint-Etienne, Saint-Nicolas, Saint-Sauveur, plus tardivement Notre-Dame), dont la création exceptionnelle en 1063 du puissant prieuré Saint-Etienne.
Histoire de Saint-Etienne de Nevers
L'histoire monastique du site est ancienne puisque dès le début du VIIe s., une communauté de femmes, placées sous la règle de saint Colomban, y prospère. Une première église est mentionnée dans les archives, dédiée à Jésus-Christ, à la sainte Vierge, à saint Étienne premier martyr de l'Auxerrois, à saint Jean et aux saints Innocents. Après de nombreuses dégradations et destructions, l’abbaye décline puis disparaît.
En 1063, l’évêque Hugues de Champallement décide de relever l’abbaye. Il y installe une communauté de chanoines réguliers, qui seront très rapidement remplacés par des moines : en 1068, l'évêque Mauguin, avec l'accord du comte Guillaume Ier de Nevers, remet le monastère à l'abbé de Cluny.
L'église priorale est construite de 1063 à 1097. L'abbé de Cluny Hugues de Semur, qui envisage alors la construction de Cluny III (qui débutera en 1088) a sans doute été marqué par la démesure de l'église Saint-Etienne, que l'on retrouvera, amplifiée, dans la construction de la Maior Ecclesia.
Les bâtiments du monastère sont également reconstruits. Ils sont, selon Viollet-le-Duc, le « monument le plus parfait que le XIe siècle ait laissé à la France ».
En 1097, une charte mentionne les importantes donations et les nombreux privilèges accordés au prieuré, en même temps qu'elle crée le bourg franc de Saint-Étienne. Le comte Guillaume abandonne tous ses droits aux clunisiens qui deviennent des seigneurs avec haute, moyenne et basse justice. Lieu d'asile, le bourg abrite des hommes libres exempts d’impôts et de services militaires.
Grâce à ces dotations et sa situation au croisement d'un chemin très emprunté vers Saint-Jacques-de-Compostelle, le prieuré prospère.
Entourés par des remparts élevés par Pierre de Courtenay au XIIe siècle, le prieuré et le bourg perdent ces privilèges en 1585 lorsqu'est réuni le bourg de Saint-Étienne à la ville de Nevers, et la justice des religieux à celle du bailliage.
En 1420 un incendie détruit les bâtiments du monastère, qui sont partiellement reconstruits au XVIIIe siècle.
Patrimoine
La trop méconnue église Saint-Étienne de Nevers est l'une des églises romanes les plus belles et les mieux conservées de France, classée depuis 1840 au titre des monuments historiques.
Son architecture s'inscrit dans le mouvement de la fin du XIe siècle : le haut-vaisseau central est contrebuté par des collatéraux élevés surmontés de tribunes voûtées en demi-berceau comme en d'autres édifices majeurs (Saint-Sernin de Toulouse) ; le chœur développe un déambulatoire dans lequel s'ouvrent plusieurs chapelles rayonnantes dans l'esprit de la grande abbatiale de Cluny ; l'élévation est à trois niveaux comme à Jumièges ou à la basilique Saint-Rémi de Reims. La construction s'achève au XIIe siècle par l’adjonction d’un narthex devant la façade ouest.
L'église, épargnée par l'incendie de 1420, souffre des modes architecturales, des conflits idéologiques et des vicissitudes du temps. En 1475, le chevet est défiguré par l'adjonction d'une sacristie entre la chapelle axiale et l'absidiole sud. La chapelle du croisillon sud est remplacée par une chapelle que surmonte une tour carrée. Le porche est remplacé par un fronton de style grec puis les sculptures du portail disparaissent.
L’église est désaffectée à la Révolution et transformée en grange. Ses trois clochers romans et le narthex sont détruits en 1792. Elle devient église paroissiale en 1798.
Au début du XIXe siècle, les splendeurs de l'église ne sont pas reconnues. Le bâtiment disparait derrière un rideau de constructions anarchiques et le sol à l'extérieur s’exhausse de deux mètres à cause de la succession de constructions/démolitions qui finit par enterrer les soubassements.
Plusieurs restaurations sont effectuées aux XIXe et XXe siècles. D’abord de 1846 à 1851, puis de 1892 à 1902 (restaurations de la façade), en 1905 (voûte de la nef) et en 1910 (croisillon nord et reconstitution de la chapelle rayonnante).
En 1846, le conseil municipal prend conscience de la splendeur de l'édifice et lance d'importants travaux : dégagement du bâtiment, assainissement, restauration du décor d'origine ; la toiture reçoit une couverture de tuiles creuses permettant un meilleur écoulement des eaux pluviales ; la sacristie est démolie et le chevet retrouve son harmonie première lors de la reconstruction de la chapelle du croisillon sud.
Malgré ces restaurations, c'est l'un des rares monuments du XIe siècle qui nous soit parvenu sans altération majeure de sa pureté primitive.
En 1974, des fouilles sont faites à la croisée de l’édifice actuel. On a trouvé la substruction de l’église antérieure qui possède une profonde abside centrale et au moins une absidiole côté nord. On a aussi trouvé quelques sarcophages et une mosaïque avec une représentation de saint Colomban.