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Moulin Chevalier de Messanges

Messanges (FR)

Abbaye de Cluny

Fondé en 1256

fesc_logo Created with Sketch. Clunisien de 1282 jusqu'en 1519

Ouvert à la visite : oui

Un véritable moulin clunisien !

Moulin Chevalier
Route de Segrois
F-21220 Messanges
GPS : 47.16 - 4.88

Le site est accessible au public sur réservation. Pour toute information, votre interlocuteur privilégié est l’Association du Moulin Chevalier, joignable à cette adresse : moulinchevalier@gmail.com

Pour découvrir la région plus large, l’office de tourisme de Gevrey-Chambertin vous donnera les informations essentielles.

Vicissitudes d’un moulin clunisien

Dans les Hautes Côtes de Nuits-Saint-Georges, en contrebas de la puissante abbaye clunisienne de Saint-Vivant, les terres de Segrois accueillent un premier moulin dont l’histoire remonte à 1256 lorsque Jean BAUDOT fut autorisé à le construire (1) sur la rive gauche du MUZIN(2).


Ainsi les habitants de Segrois furent bien heureux de pouvoir faire moudre leur épeautre (blé) sans avoir à se déplacer trop loin et rendirent grâce au seigneur HUGUES(3) - fils de la bien aimée Alix de Vergy - d’avoir octroyé ce droit de mouture.
L'eau de la rivière, légèrement retenue par un batardeau(4), s'engouffrait dans un canal délimité par des pierres et actionnait, avec sa force ainsi concentrée, la roue à aubes.
L’humble bâtiment fut rapidement connu alentour sous le nom de MOULIN CHEVALIER.

La forteresse qui domine la vallée était propriété des sires de VERGY et à cette époque annexée par les ducs de Bourgogne. La maison de VERGY qui a gouverné avec modération pendant plusieurs siècles, n’assure donc plus le commandement de la seigneurie, qui est confié à des familles alliées. Toutefois elle maintient une autorité morale basée sur les structures religieuses qu’elle a fondées : le monastère Saint Vivant - prieuré de Cluny - et la collégiale(5) des chanoines de Saint Denis.

La fondation(6) de 1282

Ce sont précisément les Vénérables (c’est ainsi que l’on nommait les chanoines) qui se rapprochent du meunier PETRONELLE dans le but de participer au budget de Cluny. C’est le Chanoine Renaud Baissey qui fait l’intermédiaire mettant en avant ses relations avec feu l’abbé Yves(7) envers qui « il est reconnaissant de bienfaits » ... mais c’est le moulin Chevalier qui verse la rente annuelle et perpétuelle au profit de l’abbé de Cluny, ainsi que la fondation d’un service anniversaire impliquant le paiement de 20 sols tournois(8) pour la messe annuelle (voir documents ci-dessous).


La rente composée d’un sétier de céréales - soit 55kg de blé et 55kg d’orge – représentait environ 4 écus (soit l’équivalent de 300 sols tournois). La messe anniversaire à 20 sols représentait une tarification assez élevée par rapport aux usages courants(9).

1411 : allègement de la fondation

En ce début de XVème siècle, le moulin est dans un triste état : une crue plus forte que les autres l’a détruit en grande partie.


Les conditions économiques sont, elles aussi, déplorables. Les grandes compagnies(10) ont dévasté la région et les maladies ont décimé une partie de la population.
Aussi le meunier Perrot COQUETORTE souhaite alléger ses charges et ses dons afin de pouvoir reconstruire son moulin.

C’est l’objet du document du 3 août 1411 (voir ci-dessus) qui indique que le précédent engagement « est aboli par voie spéciale du chapitre ».
Par contre la fondation de la messe anniversaire pour l’abbé de Cluny est maintenue et le versement passe de 20 à 25 sols tournois « valable pour les vingt prochaines années ».

Fin de l'engagement envers Cluny

En 1500 le moulin est reconstruit - à quelques mètres du précédent - suite à l’aménagement d’un bief.
L’engagement envers Cluny se poursuit, financier par le versement en numéraire, et spirituel par la fondation de la messe anniversaire.

Les textes consultés n’indiquent pas de fin de contrat mais on peut avancer la date de 1519. En effet à cette date Jean ESMONIN - chanoine de Saint Denis - ayant racheté à titre personnel le moulin Chevalier, en fait don aux chapelains de Sainte Barbe(11), à charge pour eux d’affecter le revenu de location du moulin à l’entretien de la chapelle de sainte Barbe construite par le dit chanoine Esmonin pour y abriter sa sépulture.
Il y a tout lieu de penser qu’à cette occasion le chanoine aura usé de son influence (qui était grande) pour délier le moulin Chevalier de ses engagements envers Cluny afin de s’assurer l’exclusivité des revenus. Étant entendu que le moulin ne pouvait supporter plusieurs charges religieuses(12).

Ainsi prend fin - après 237 ans de contribution - la participation du moulin Chevalier à la grande épopée Clunisienne. Humble participation mais représentative de l’élan populaire qui a permis le développement d’une Europe spirituelle et culturelle.

Les murs extérieurs du moulin actuel (celui du XVIIIe s.) présentent des pierres intéressantes (ils ont en effet été construits à partir de matériaux provenant de la démolition de Saint-Vivant). L’édifice en lui-même présente, sur ses quatre niveaux, de très intéressantes machines utilisées dans la fabrication de la farine. Les propriétaires actuels ont à cœur de sensibiliser le public aux techniques et énergies de la meunerie au cours des derniers siècles. CLUNY disparaîtra avec la révolution.

Le moulin Chevalier de Messanges et ses annexes

Le moulin CHEVALIER continuera sa route,
de développement en récession, d’ inondation en reconstruction, jusqu’ en 1983.
Mais Cluny et le moulin Chevalier se retrouveront.

Le 12 juin 2010 la Fédération Européenne des Sites Clunisiens dévoile la rosace apposée sur le mur du moulin installé en 1500.

Notes :

1 M. Courtépée : tome 2 page 403 Lagier éd. 1847.
2 La rivière Muzin ou Musain, aujourd’hui MEUZIN.
3 Les seigneurs de VERGY ne résident plus à Vergy après le décès d’Alix de Vergy en 1251 mais conservent leurs droits de gestion.
4 Barrage construit pour détourner en partie un cours d’eau.
5 Collège de 16 chanoines fondé par Imbert de Vergy, ayant leur siège dans la collégiale Saint Denis, à l’intérieur du château.
6 Une fondation est une sorte de cens (rente) annuel et perpétuel.
7 Il s’agit de l’abbé Yves de Vergy, abbé de Cluny de 1256 à 1275 et neveu des seigneurs locaux.
8 20 sols = une livre. Le sol tournois est un peu plus faible (1/25ème de livre).
9 A titre de comparaison, les moines du prieuré voisin, de Saint Vivant, achètent à la même époque une pièce de vigne pour 36 sols dijonnais (St. Vivant de Vergy page 61). Précisons que la tarification, dans le cas d’une fondation, était bien souvent fixée par le donateur lui-même.
10 Bandes de soldats et mercenaires démobilisés après la guerre de cent ans, qui dévastent et pillent –entre autres régions– celle qui nous concerne.
11 Les chapelains étaient constitués de 3 descendants de la famille Esmonin qui devaient entretenir la chapelle funéraire.
12 C’est aussi l’époque où l’influence de Cluny décline et le Concordat de Bologne (1516) diminue, sans doute, l’attractivité de l’ordre monastique.

Sources :
(Les mentions ADCO font référence aux Archives de la Côte d’Or)

Les faits et dates concernant le monastère Saint-Vivant sont issus de l’article de Denyse Riche dans le livre « Saint Vivant de Vergy, un prieuré clunisien au cœur de la Bourgogne ».

Bibliographie :

  • Cluny et le moulin Chevalier par l’association du moulin Chevalier (2016)
  • Le moulin Chevalier par Henri Bonnard (2010)
  • Saint Vivant de Vergy par l’association de l’abbaye Saint Vivant (2010)

Annexes

1 - Pourquoi Cluny et pas le monastère Saint Vivant ?
Le moulin Chevalier est à quelques centaines de mètres du monastère Clunisien de Saint Vivant qui avait rang de « grand prieuré(1) » alors que Cluny est à 100 km. Pourquoi avoir fait une fondation à un monastère si éloigné ?
D’abord parce que deux abbés de Cluny de cette deuxième moitié du XIIème siècle sont issus de la famille de Vergy, seigneur des lieux : Yves de Vergy(2) abbé de Cluny de 1256 à 1275, puis son neveu Yves de Chazan de 1275 à 1289(3).
Ces attaches familiales sont renforcées par le fait que la famille de Vergy a marqué favorablement cette petite vallée du Haut Meuzin et, le souvenir de la dernière châtelaine résidente, Alix de Vergy, décédée en 1251, est toujours honoré au moment de la donation.
Enfin Yves de Chazan, abbé de Cluny au moment de la fondation citée plus haut, connaît bien le moulin Chevalier puisqu’il fut élevé au tout proche monastère de Saint Vivant(4).

2 – Pourquoi les « Vénérables » ont-ils favorisé Cluny plutôt que Saint Vivant ?
Il ne semble pas y avoir eu de relation organique entre le monastère Clunisien de Saint Vivant et les vénérables chanoines de Saint Denis, pourtant voisins.
Ces derniers avaient établi des relations plus profitables avec les seigneurs de Vergy qui les hébergeaient dans l’enceinte du château(5)
C’est donc bien la famille de Vergy qui était honorée au travers de ces transactions. Ce qui renforce l’idée d’un don plus politique que spirituel.

3 – Pourquoi un don en nature ?
Les donations de blé en faveur d’un monastère étaient bien souvent effectuées en nature et, de ce fait, en rapport direct avec l’offrande eucharistique.

Sources :

(1) Rattaché officiellement à Cluny vers 1087/1090, Saint Vivant de Vergy avait rang de grand prieuré de Cluny et le prieur s’intitulait « grand doyen ».
(2) Yves de Vergy, appelé aussi Yves de Poisot. Avant lui un autre membre de la famille, Hugues de Semur (abbé de Cluny lui aussi de 1049 à 1109 et mis au nombre des Saints ) était le fils de Aremburge de Vergy.
(3) André Du Chesne : histoire généalogique de la maison de Vergy. 1625.
(4) Registre d’Honorius IV (1285-1287- Maurice Prou Ed Thorin Paris 1888.
(5) On pourrait suggérer deux raisons supplémentaires : le monastère de Saint Vivant avait son propre moulin ; peut-être une certaine méfiance de la maison mère envers sa filiale, Saint Vivant, endettée et plus portée sur la vigne que sur les céréales.