Maïeul (954-994)

Figure incontournable de Cluny, Maïeul dirigea l’abbaye durant près de quarante ans, marquant à jamais son histoire.
Sa mémoire, entretenue par plusieurs récits, offre le portrait d’un « père très pieux, d’un abbé très saint » et d’« un homme éminent » (1).

Saint Maïeul et deux moines

Des débuts mouvementés

Maïeul, probablement né après 909 à Valensole ou en Avignon, est issu d’une lignée prestigieuse. Son père, Fouquier de Valensole, appartient à une importante famille de Provence orientale et sa mère Raymonde à celle des comtes de Narbonne.

Dans le contexte troublé des années 916-918, marqué par les affrontements entre deux lignages de l’aristocratie locale et par les incursions des Sarrasins installés dans la région, la famille de Maïeul se voit contrainte de quitter la Provence pour une nouvelle terre d’accueil, la Bourgogne.

Après des études à l’école cathédrale de Mâcon, le jeune Maïeul entre au monastère lyonnais de l’Ile Barbe au sein duquel il reçoit une formation littéraire et cléricale. De retour à Mâcon, il occupe la charge de diacre puis d’archidiacre, refuse l’archevêché de Besançon et finit par intégrer, entre 943 et 948, le monastère de Cluny.

Le quatrième abbé clunisien

Dès 954, Maïeul succède à Aymard (942-954) et devient le quatrième abbé du monastère.

Son abbatiat est marqué par une intense activité de réforme, par la consolidation du privilège d’exemption qui protégeait l’établissement de toute ingérence extérieure (3) et par une multiplication des donations qui passent de 272 sous Aymard à près de 620 !

Ces dernières proviennent de l’aristocratie locale et de la haute noblesse avec lesquelles l’abbé entretient des liens étroits (évêques, comtes et ducs). Il est aussi très proche des Ottoniens (4), au point que l’empereur et sa mère, Adélaïde de Bourgogne, lui proposent le siège de la papauté en 974.

Fort de ces soutiens, le monastère devient une véritable puissance régionale et commence à étendre son influence bien au-delà du cadre bourguignon. Il attire alors de nombreux moines, entraînant l’édification d’une nouvelle église, « Cluny II », consacrée en 981. Dédiée à saint Pierre, elle recueille ses reliques ainsi que celles de saint Paul, précieusement placées sous l’autel.

Réformateur actif, Maïeul prend également en charge une trentaine d’établissements : certains sont réformés à titre personnel puis confiés à des abbés extérieurs, par exemple à Saint-Bénigne de Dijon, d’autres sont rattachés directement à Cluny comme Ganagobie ou Souvigny.

En 994, à la demande du roi Hugues Capet, il part réformer le monastère de Saint-Denis mais s’éteint en chemin à Souvigny, où il est inhumé dans l'église Saint-Pierre-et-Saint-Paul.

Fragment du gisant dit de saint Maïeul

Pour la petite histoire : la capture de Maïeul par les Sarrasins… et la reconquête de la Provence

En 972, alors qu’il revenait de Rome, l’abbé de Cluny fut victime d’une expérience marquante à bien des égards. L’épisode est relaté dans la Vie de saint Maïeul rédigée par Odilon : celui-ci raconte comment Maïeul fut capturé, enchainé puis finalement libéré contre rançon par une troupe de Sarrasins lors de sa traversée des Alpes (5). Depuis les années 880, ces derniers occupaient la région et y semaient le désordre. À la suite de cet événement, ils en furent chassés définitivement par le comte de Provence Guillaume II, renommé “le libérateur”, qui lança une expédition vengeresse à leur encontre.

Dans la suite de son récit, Odilon mentionne un « mémorable présage » que lui aurait raconté l’abbé : comme la Passion du Christ a entraîné l’exil du peuple juif (destruction de Jérusalem par les empereurs Titus et Vespasien en l’an 70 et 135), la capture de l’abbé de Cluny a conduit à l’expulsion des Sarrasins par Guillaume II.

Tel un nouveau Christ, Maïeul devient alors le symbole de la libération de la Provence.

Saint Maïeul capturé par les Sarrasins

Laura Attardo
Chargée de mission scientifique - Clunypedia
Fédération Européenne des Sites Clunisiens
Doctorante à l'Université Paul-Valéry de Montpellier
Les moines de Cluny et l’image : un discours ecclésiologique à travers les manuscrits enluminés clunisiens (Xe-XIIIe siècle)
clunypedia@sitesclunisiens.org

Notes
(1) Piissimo patre et abbate sanctissimo, praestantissimo viro : Odilon de Cluny, Vita sancti Maioli, éd. MIGNE J. -P., PL (Patrologia Latina) 142, col. 951 C.
(2) Odilon de Cluny, Vita sancti Maioli, PL 142, col. 954 A.
(3) Dès sa fondation, Cluny bénéficie d’un statut des plus singuliers. Placé sous la protection de la papauté, le monastère reste indépendant de tout pouvoir extérieur (juridiction épiscopale, pouvoir royal, impérial et aristocratique) et ne dépend que d’un abbé élu par le collège des moines.
(4) Ottoniens : « Dynastie originaire de Saxe, à l’origine de la fondation du saint Empire romain Germanique par Otton Ier le Grand (962), – comprenant les royaumes de Germanie, d'Italie et, à partir de 1032, celui de Bourgogne –, qui fut dissous en 1806 » (Dict. Larousse : larousse.fr/encyclopedie/autre-region/Saint_Empire_romain_germanique/142245).
(5) Odilon, Vita sancti Maioli, PL 142, col. 959C-962B. Cet épisode est également relaté dans Syrus, Vita sancti Maioli, éd. IOGNA-PRAT D., Agni immaculati…, op. cit., p. 163-301 et dans les Histoires, une œuvre rédigée par le moine Raoul Glaber au début du XIe siècle (Raoul Glaber, Histoires, ARNOUX M. (trad.), Turnhout, 1997 p. 55-59).

Illustrations
Fig. 1 : Saint Maïeul et deux moines. Saint-Victor-sur-Rhins. Mairie, Bréviaire, f. 352, fin XIIIe - début XIVe siècle.
Fig. 2 :Fragment du gisant dit de saint Maïeul. Souvigny, église Saint-Pierre-et-Saint-Paul, 2ème moitié du XIIIe siècle. © Ministère de la culture, Médiathèque du patrimoine et de la photographie, tous droits réservés ; musée de Souvigny.
Fig. 3 : Saint Maïeul capturé par les Sarrasins. Pavie, église Saint-Sauveur (San Salvatore), fresque de la chapelle Saint-Maïeul réalisée par Bernardino Lanzani, début du XVIe siècle. creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/deed.en

Bibliographie indicative
IOGNA-PRAT D., « Saint Maïeul, Cluny et la Provence : expansion d’une abbaye à l’aube du Moyen Âge » in Les Alpes de Lumière, 115 (1994).
IOGNA-PRAT D., Agni immaculati: recherches sur les sources hagiographiques relatives à Saint Maieul de Cluny (954-994), Paris, 1988.
ROSÉ I., « Les réformes monastiques », in BERTRAND P., DUMÉZIL B., HÉLARY X., ROSÉ I., Pouvoirs, Église et société dans les royaumes de Francie, de Bourgogne et de Germanie aux Xe et XIe siècles (888-1110), Paris, 2008, p. 135-161. Concernant Maïeul, cf. p. 142-144.
Saint Mayeul et son temps. Millénaire de la mort de Saint-Mayeul, 4ème abbé de Cluny, 994-1994, Actes du Congrès International, Valensole (mai 1994), Digne-les-Bains, 1997.