Les multiples facettes du moine (1/10) : gouverner l’abbaye

Diriger une abbaye telle que Cluny implique de grandes responsabilités. Pour y parvenir, l’abbé, véritable guide spirituel de la communauté, est secondé par le grand prieur et le prieur claustral qui veillent à l’organisation et au bon fonctionnement de la vie monastique.

L’abbé

Entre 910 et 1790, près de 70 abbés ont dirigé l’abbaye de Cluny.

Du syriaque abba désignant « père », l’abbé est un moine élu à vie par sa communauté. Son élection peut se faire par scrutin, par inspiration divine ou par compromis, c’est à-dire par la désignation du successeur approuvée ensuite par les moines.

À Cluny, jusqu’au début du XIIe siècle, c’est le compromis qui prévaut : Bernon, Odon, Mayeul et Odilon furent tous désignés par leur prédécesseur. À partir d’Hugues de Semur (1049-1109), la communauté pratique le suffrage par compromis : les moines désignent un petit groupe de représentants pour voter à leur place.

À partir du XVe siècle, le régime de la commende permet au roi de désigner un candidat, alors nommé abbé commendataire (1).

Moines débattant de leur droit à l'élection de leur supérieur

Selon la règle de saint Benoît, l’abbé est chargé de gouverner sa communauté et de veiller sur cette dernière. À Cluny, cette position privilégiée exige que certains honneurs lui soient rendus, tels que la révérence ou l’autorisation préalable de lui adresser la parole.

Son autorité s’étend aussi aux dépendances clunisiennes qu’il est tenu de visiter régulièrement et pour lesquelles il procède à la nomination des prieurs.

Il peut enfin exercer un droit de justice concernant les affaires ecclésiastiques : inceste avec des religieuses, sacrilèges, incendies commis par des moines…

Entre le Xe et le XIIe siècle, l’abbé de Cluny est l’un des personnages les plus influents de la Chrétienté : il a le privilège de porter les mêmes insignes que le pape (pontificalia), à savoir la crosse et le bâton pastoral, les sandales ou encore la mitre (2).

Le pape Urbain II (gauche) et l’abbé Hugues de Semur (droite) portant les pontificalia

Le grand prieur

Saint Benoît enseignant

Véritable second de l’abbé, le grand prieur est chargé de l’assister dans la direction du monastère et de le remplacer lorsqu’il est absent.

À Cluny, il est désigné par ce dernier sous réserve de l’approbation de la communauté des moines comme ce fut le cas pour Hugues de Semur, grand prieur choisi par Odilon avant de devenir abbé en 1049.

Le grand prieur s’occupe de diverses affaires qui touchent le spirituel et le temporel. À la demande de son supérieur, il peut être amené à se déplacer dans les maisons clunisiennes qui lui doivent obéissance et sur lesquelles il a des droits administratifs et disciplinaires.

À l’image de l’abbé, il reçoit certains honneurs : par exemple, il se place en premier dans le chœur de l’église, au réfectoire il mange à la table située à droite de l’abbé et en cas d’absence de celui-ci, prend même sa place.

Le prieur claustral ou prieur secondaire

Enfin, pour assister le grand prieur dans ses tâches, un prieur claustral est désigné.

Il peut, lui aussi, se déplacer dans des maisons-filles et appliquer l’autorité de l’abbé mais sa mission principale est de veiller au bon fonctionnement de la vie intérieure de l’abbaye.

Il est surtout responsable de :

L’inspection des moines de la communauté, par exemple :

Moine en prière devant l’autel de la Vierge à l’enfant

L’inspection des locaux :

Pour ce faire, il peut être aidé par certains moines, appelés circatores ( = assistants).

Laura Attardo
Chargée de mission scientifique - Clunypedia
Fédération Européenne des Sites Clunisiens
Doctorante à l'Université Paul-Valéry de Montpellier
Les moines de Cluny et l’image : un discours ecclésiologique à travers les manuscrits enluminés clunisiens (Xe-XIIIe siècle)
clunypedia@sitesclunisiens.org

Notes
(1) LOCATELLI R., « Abbé », in GAUVARD C., DE LIBERA A., ZINK M. (dir.), Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, 2004 (2ème éd.), p. 1.
(2) Mitre : « Coiffure haute que portent les évêques, les abbés et certains prélats, quand ils officient en habits pontificaux » (Dict. Académie française).
(3) Règle de saint Benoît, ch. 65, 302.
(4) Oblats : enfants offerts par leur famille au monastère afin qu’ils reçoivent une éducation et deviennent moines, en échange de biens matériels (cf. : LOCATELLI R., « Oblat », in Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, 2004 (2ème éd.), p. 1013-1014).

Illustrations
Fig. 1 : Moines débattant de leur droit à l'élection de leur supérieur. Amiens, Bibliothèque Louis Aragon, ms. 353, f. 242, fin du XIIIe siècle.
Fig. 2 : Le pape Urbain II (gauche) et l’abbé Hugues de Semur (droite) portant les pontificalia. Paris, BnF, ms. latin 17716, f. 91r, début XIIIe siècle.
Fig. 3 : Saint Benoît enseignant. Paris, Bibliothèque Mazarine, ms. 677, f. 42, milieu XIIIe siècle.
Fig. 4 : Moine en prière devant l’autel de la Vierge à l’enfant. Besançon, Bibliothèque, ms. 551, f. 75v, fin du XIIIe siècle.

Bibliographie indicative

La majorité de la notice a été réalisée à partir de la lecture d’un ouvrage dont l’auteur tire ses informations des coutumes clunisiennes transcrites dans le Liber Tramitis ainsi que dans les coutumiers des moines Ulrich et Bernard.

DE VALOUS G., Le monachisme clunisien : des origines au XVe siècle. Vie intérieure des monastères et organisation de l’ordre, Paris, vol. 1, 1935, p. 88-124.
BORIAS A., SCHMITZ P., (trad.), Règle de saint Benoît, Le Coudray-Macouard, 2019 (7ème éd.) [en ligne : https://la.regle.org).
GAUVARD C., DE LIBERA A., ZINK M., Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, 2004 (2ème éd).