Cluny et la fête de tous les défunts
À l’approche du 1er novembre, fête de la Toussaint, revenons sur les origines de la fête de tous les défunts, fixée le 2 novembre, qui voit le jour à Cluny sous l’abbatiat d’Odilon afin de veiller au repos des âmes.

Aux origines de la célébration des défunts
C’est aux alentours de 1030 que l’abbé Odilon introduisit à Cluny une fête nouvelle, bientôt adoptée par l’ensemble de l’Église latine, celle de tous les défunts. Selon Jotsald, biographe de l’abbé, elle puiserait son origine dans un récit légendaire mettant en scène un pèlerin alors égaré sur un îlot rocheux et un ermite.
Par de sages paroles, ce dernier lui révéla l’existence d’un lieu unique, au sein duquel les âmes agonisantes des pécheurs trouvent une oreille attentive pour les délivrer de leurs tourments éternels : Cluny. La communauté des moines, menée par son abbé Odilon, est tant exceptionnelle qu’elle doit être connue de tous : il exhorte ainsi le pèlerin à partager cette nouvelle et à inciter les moines à continuer dans cette voie.

Le Cluny des années 1030, un terreau fécond pour le développement du culte des défunts
Au-delà de cet épisode singulier, le culte clunisien des défunts s’inscrit surtout dans la continuité de la fête de tous les saints, tradition qui voit le jour en Angleterre au cours du VIIIe siècle et qui se diffuse dans l’empire carolingien durant le IXe siècle.
Dès cette époque, l’idée d’associer la mémoire des saints avec celle des défunts est déjà répandue. En instituant cette fête au lendemain de la Toussaint, Odilon se place ainsi au cœur du renouveau spirituel de son temps.

Au cours de la décennie 1020-1030, l’abbé de Cluny traverse une période difficile marquée par l’omniprésence de la mort : une famine décime une large partie de la population et plusieurs de ceux qui lui étaient chers disparaissent. « J’étais à gémir et à pleurer […] pour le grand et lamentable malheur de la patrie entière et de tous les pauvres » aurait-il prononcé (2).
Célébration liturgique de la mémoire des morts
À Cluny, la mémoire des morts est célébrée durant toute l’année selon une hiérarchie spécifique : d’abord « les moines de la congrégation » puis les « familiers », ces figures avec lesquelles la communauté a entretenu des liens étroits (rois, empereurs, papes…).
La date du 2 novembre marque la célébration de l’ensemble de ces défunts. Pour cette occasion, le Liber tramitis (4) évoque la tenue de plusieurs messes privées accompagnées d’actes de charité envers les plus démunis : un repas est par exemple offert à douze d’entre eux (5).

Laura Attardo
Chargée de mission scientifique - Clunypedia
Fédération Européenne des Sites Clunisiens
Doctorante à l'Université Paul-Valéry de Montpellier
Les moines de Cluny et l’image : un discours ecclésiologique à travers les manuscrits enluminés clunisiens (Xe-XIIIe siècle)
clunypedia@sitesclunisiens.org
Notes
(1) Jotsald, Vita sancti Odilonis, II, 15, p. 218-220 ; traduction de LE GOFF J., La naissance du Purgatoire, Paris, 1981, p. 171-172.
(2) Propos d’Odilon rapportés par Raoul Glaber dans sa Vita s. Guillelmi, 29, PL 142, col. 943 ; traduction de HOURLIER J., Saint Odilon, abbé de Cluny, Louvain, 1974.
(3) Citation de Benoît VIII : ZIMMERMANN H. (éd.), Papsturkunden 896-1046, Vienne, 1985, vol. II, 530, p. 1009.
(4) Rédigé à Cluny entre 1027 et 1033, le Liber Tramitis est un coutumier destiné à l’abbaye de Farfa qui constitue un témoin exceptionnel de la vie quotidienne et liturgique des moines de Cluny sous l’abbatiat d’Odilon. Il est édité dans l’ouvrage : Liber tramitis aeui Odilonis, DINTER P. (éd.), Siegburg 1980.
(5) Organisation des messes : Liber tramitis, 126, p. 187, l. 15-16 ; Prise en charge des nécessiteux : Liber tramitis, 126, p. 187, l. 18-19.
Illustrations
Fig. 1 : Moine à genoux priant devant la Vierge à l'enfant. Paris, BnF, Latin 17716, XIIIe siècle, f. 23r.
Fig. 2 : Âme de saint Benoît recueillie par les anges. Paris. BnF, Latin 1023, XIIIe siècle, f. 312v.
Fig. 3 : Benoît VIII apparaissant à Odilon pour la rédemption de son âme. Besançon, Bibliothèque municipale d'étude et de conservation, ms. 677, XIVe siècle (après 1384), f. 61v.
Bibliographie indicative
IOGNA-PRAT D., (2002). Les morts dans la comptabilité céleste des clunisiens aux XIe et XIIe siècles, in Études clunisiennes, Paris, p. 125-150 (en ligne : shs.cairn.info/etudes-clunisiennes--9782708406810-page-125).
PLAINE F., « La fête des morts du 2 novembre. Dates et circonstances de son institution à Cluny et de son extension à l’Église universelle », in Revue du clergé français, 7 (1896).
WOLLASCH J., « Les moines et la mémoire des morts », in IOGNA-PRAT D. et PICARD J. -C., Religion et culture autour de l'an Mil : Royaume capétien et Lotharingie, Actes du Colloque Hugues Capet, 987-1987 (Auxerre, juin 1987 ; Metz, septembre 1987), p. 47 54.