En 998, Rodolphe - peut-être avoué à la cour de Bourgogne - donne à Cluny une petite église avec un ensemble de terres, près de Neuchâtel, le long de la rive nord du lac du même nom. Le prieuré est solidement doté : dix domaines agricoles et quarante serfs avec leurs familles. Vers 1120, il est placé sous la dépendance du prieuré de Romainmôtier, à 42 km de là. Il mène aux XIIe et XIIIe s. une existence modeste tournée vers l’administration de ses domaines. L’église prieurale, reconstruite à la fin du XIIe s., est séparée par un mur intérieur : aux moines le chœur et aux paroissiens la nef. Mais à partir du siècle suivant, le prieuré n’abrite plus qu’un seul moine, voire aucun. Certains prieurs ne résident pas sur place et ils ne se font pas remplacer. Le prieuré n’est plus qu’un bénéfice que l’on vend ou échange, et l’influence monastique sur le bourg s’estompe progressivement. Le 22 avril 1531, avec la Réforme, le prieur perd son pouvoir d’administration ; le 30 avril, il est remplacé par un laïc. Le prieuré est sécularisé. Ses revenus forment désormais la seigneurie de Bevaix.
Un site viticole et un patrimoine éparpillé
L’ensemble prieural de Bevaix fut démantelé au cours du XVIIe s. et son église remplacée par une grange. Ne comportant plus que quelques pans de mur des bâtiments originels, il est aujourd’hui propriété du Conseil d’Etat neuchâtelois (gouvernement cantonal), lieu de réceptions occasionnel. Le site et son ancien domaine, au-dessus du lac de Neuchâtel et environnés de vignes, sont néanmoins accessibles. Jusqu’en 1601, les paroissiens se plaignaient du mauvais accès et des coûts d’entretien de leur église - l’ancienne prieurale. Le Conseil d’État leur permet alors l’édification d’un temple dans le village, qui réutilisera de nombreux éléments de l’église : un petit chapiteau roman est intégré dans une baie du clocher, une frise du XIIe s. sur le portail, décorée de palmettes et à la clé ornée de deux animaux fantastiques. Dans le chœur du temple, les arcs des voûtes, la clé avec un agneau de Dieu et les encadrements de fenêtres proviennent quant à eux du chœur gothique de la prieurale. Enfin, sur une armoire du temple, l’ancien tabernacle de l’église, de la fin du XVe s.
Bevaix et ses écarts : au cours du XVe s., comme dans d’autres établissements, la vie monastique à Bevaix n’est plus conforme à ce que nous pouvons peut-être imaginer spontanément lorsque nous pensons à un prieuré. En 1427, les visiteurs de l’ordre de Cluny ont la surprise de rencontrer le prieur, Jacques de Giez entouré de sa femme et de ses quatre enfants ! Et Jean de Livron, le dernier prieur (1498-1531), n’hésite pas à prendre les armes contre ceux qui veulent déranger son frère, dormant dans sa cellule avec une femme de petite vertu !